À l’ère du numérique, la chirurgie connaît une métamorphose profonde. L’avènement du chirurgien « augmenté » transforme radicalement les pratiques opératoires. Cette évolution remarquable repose sur l’enrichissement technologique des deux attributs fondamentaux du chirurgien : la main et l’œil.
Dans cet article, nous explorerons les innovations technologiques qui redéfinissent l’art chirurgical et mène à ce fameux Chirurgien augmenté. Des robots télémanipulateurs à la vision microscopique en temps réel, ces avancées ouvrent de nouvelles perspectives pour la précision chirurgicale. Par conséquent, elles révolutionnent la manière dont les interventions sont réalisées et enseignées.

La main augmentée : télémanipulation robotique en chirurgie
Genèse et évolution des robots chirurgicaux
La télémanipulation robotique au bloc opératoire trouve ses origines dans les années 1980. En effet, ce développement résulte des recherches menées par la NASA et financées par la DARPA. Initialement, le projet visait à permettre aux chirurgiens d’opérer à distance des blessés en zone de guerre ou de catastrophe.
Les premières plateformes robotiques souffraient de limitations significatives. D’une part, leurs interfaces homme-machine peu performantes restreignaient la communication. D’autre part, leur programmation se limitait à des gestes relativement simples comme les biopsies cérébrales stéréotaxiques avec le robot PUMA 200 en 1985 ou les résections prostatiques guidées par échographie avec le PROBOT en 1988.
L’introduction des télémanipulateurs constitue néanmoins une avancée majeure. L’interface chirurgien-robot interprète les mouvements du praticien puis les reproduit en temps réel. Cette technologie permet donc des manipulations tissulaires précises en éliminant les tremblements physiologiques. Ainsi, elle facilite les dissections délicates dans des espaces étroits comme le pelvis.
Exemple de Chirurgien augmenté : Le robot Da Vinci
Aujourd’hui, la plateforme robotique dominante reste le robot Da Vinci (Intuitive Surgical). Sa console offre une vision stéréoscopique 3D tandis que le chirurgien, confortablement installé, manipule des poignées reproduisant les mouvements du poignet humain avec sept degrés de liberté.
Ce système représente bien plus qu’un simple outil d’aide à la dissection. En réalité, il rompt un dogme fondamental de la chirurgie traditionnelle : la présence physique du chirurgien auprès du patient. Cette rupture ouvre la voie à la téléchirurgie et au télémentorat.
Téléchirurgie et télémentorat : abolir les distances
Les premières expériences de téléchirurgie se limitaient à de courtes distances en raison du « temps de latence » des transmissions. En effet, un retard supérieur à 500 millisecondes peut compromettre significativement l’exécution du geste chirurgical.
Le développement des transmissions à haute vitesse par fibres optiques, avec un temps de latence inférieur à ce seuil critique, a permis de surmonter ces limitations. En septembre 2001, l’équipe chirurgicale de l’IRCAD réalise la première intervention transatlantique mondiale, baptisée « Opération Lindbergh ». Cette démonstration historique marque le début de la globalisation du partage du geste chirurgical.
Le télémentorat constitue une autre application prometteuse. Il permet à un expert de guider à distance une intervention en « double commande ». Le chirurgien enseignant peut même reprendre les commandes pendant les phases complexes, bien que l’opération se déroule à des milliers de kilomètres. Cette approche améliore la sécurité des interventions et favorise la dissémination du savoir chirurgical dans les zones isolées.
Chirurgien augmenté : Vers l’automatisation et la miniaturisation
Des développements récents s’orientent vers l’automatisation partielle du geste chirurgical. La co-manipulation homme-machine est déjà une réalité pour des gestes simples comme les biopsies. Des avancées encourageantes permettent désormais de programmer le robot Da Vinci pour effectuer de manière semi-autonome des gestes complexes comme les ligatures intracorporelles par technique mini-invasive.
Parallèlement, la miniaturisation représente un enjeu majeur. Le robot Da Vinci, malgré ses prouesses technologiques, reste encombrant et coûteux. Un nouveau prototype, le robot ISISCOPE, est en développement à l’IRCAD de Strasbourg. Cette plateforme endoscopique souple, de petit diamètre (1,8 cm), permet d’effectuer des gestes complexes par une seule incision, voire sans cicatrice via les voies naturelles. L’ISISCOPE comprend une unité effectrice distale avec micro-instruments et une interface de commande intuitive.
L’œil augmenté : voir au-delà des limites naturelles
Voir en transparence : chirurgie assistée par réalité virtuelle et augmentée
La réalité virtuelle (RV) offre une augmentation significative des capacités opératoires. Cette technologie permet de créer un clone virtuel tridimensionnel du patient à partir d’imageries médicales (scanner ou IRM). Ce modèle facilite la navigation à l’intérieur du corps, l’identification des structures anatomiques et pathologiques. Le chirurgien peut ainsi planifier l’intervention, repérer les plans de dissection et évaluer l’impact de sa stratégie chirurgicale.
La réalité augmentée (RA), concept dérivé de la RV, autorise une navigation peropératoire. Elle superpose en temps réel les images réelles du patient captées par la caméra et les images virtuelles reconstruites. Cette fusion permet de visualiser des structures cachées (vaisseaux, ganglions) en « transparence virtuelle » pendant l’opération.
L’application clinique de cette technologie s’avère très prometteuse. Une première mondiale réalisée à l’IRCAD en 2004 – une surrénalectomie laparoscopique guidée par RA – a démontré l’efficacité de l’identification des structures nobles. Depuis, les indications se sont multipliées tant en chirurgie laparoscopique qu’en radiologie interventionnelle.
Malgré des limitations actuelles en termes de précision, rapidité de modélisation et capacité à maintenir la cohérence entre virtuel et réel durant les mouvements physiologiques, des innovations majeures sont attendues prochainement.
Voir l’invisible : chirurgie assistée par lasers infrarouges
La chirurgie guidée par fluorescence représente un autre moyen d’améliorer les performances opératoires. Grâce aux laparoscopes équipés de sources lumineuses émettant des fréquences infrarouges, il devient possible de visualiser des structures nobles (vaisseaux, uretères) via l’intensité lumineuse de substances injectées au patient (fluorescéine, bleu de méthylène, vert d’indocyanine).
Cette approche se combine idéalement avec la réalité augmentée. Les images laparoscopiques avant et après injection peuvent être intégrées pour produire une visualisation bidimensionnelle enrichie d’une évolution temporelle. Les applications explorées à l’IRCAD sont nombreuses : détection de la perfusion capillaire au site de résection digestive, identification du ganglion sentinelle, repérage peropératoire des fuites biliaires durant les hépatectomies laparoscopiques.
Chirurgien augmenté : Voir l’infiniment petit en temps réel
L’examen microscopique peropératoire en temps réel constitue une avancée décisive, particulièrement en chirurgie oncologique, pour évaluer rapidement la précision des marges de résection. Le Cellvizio, développé par la société française Mauna Kea Technologies, offre un système de microscopie optique permettant des « biopsies » virtuelles instantanées.
Cette technologie d’imagerie microscopique laser à haute résolution « confocale » sélectionne la profondeur du point focal. Elle surpasse ainsi la microscopie standard en reconstruisant des images tridimensionnelles grâce à un algorithme spécifique. Cette capacité permet d’évaluer des surfaces irrégulières présentant différents points focaux. De plus, elle autorise une analyse en temps réel et une cinématographie par balayages successifs.
La sonde laser du Cellvizio, conçue pour s’introduire dans les endoscopes classiques et prochainement dans les laparoscopes rigides, a notamment été utilisée pour déterminer le niveau de perfusion intestinale en observant les modifications précoces de la muqueuse induites par l’ischémie. Bien qu’encore expérimentale, cette technologie présente un potentiel considérable comme aide à la décision peropératoire, notamment avec le développement de logiciels de diagnostic pathologique automatisé.
Conclusion : vers une chirurgie augmentée et automatisée
Les avancées technologiques transformant la stratégie et la technique chirurgicales suivent une trajectoire fulgurante, propulsée par les innovations en robotique et informatique. L’intégration de ces technologies s’amplifiera pour institutionnaliser la chirurgie assistée par ordinateur, pratiquée par des cyber-chirurgiens, et ouvrir la voie à la chirurgie partiellement automatisée.
Le chirurgien augmenté n’est plus une vision futuriste mais une réalité en constante évolution. La fusion homme-machine enrichit les capacités sensorielles et techniques du praticien, améliorant la précision des gestes et la sécurité des interventions. En définitive, cette révolution technologique bénéficie directement aux patients, avec des procédures moins invasives, plus précises et plus sûres.
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